Peut-être cet intrépide avait-il fini par se croire invulnérable
par
Mort d’un Aviateur Français
L’héroïsme est si répandu et paraît si naturel sur notre front ; il est devenu, aux yeux de ceux qui le pratiquent chaque jour, chose si courante, qu’un éloge spécialement décerné semble impliquer une sélection arbitraire parmi les innombrables Français qui, avec une égale sérénité, sont morts pour la patrie.
L’injustice serait cependant de ne pas rendre un hommage particulier à l’aviateur Pégoud qui, après tant de prouesses, est tombé dans nos lignes, frappé dans un combat aérien par une balle ennemie.
Non seulement Pégoud comptait parmi les plus populaires de nos champions de l’air, mais l’audace et l’utilité de ses expériences, les plus « folles  », semble-t-il, que l’on ait tentées jusqu’ici, lui assurent pour jamais une place tout à fait à part dans l’histoire de l’aviation.
C’est seulement au début de l’année 1913 que Pégoud commença son apprentissage de pilote. Au mois d’aoà »t, il se révèle au grand public par un acte qui donne la mesure de son courage : à 200 mètres de hauteur, il saute de son avion pour essayer un parachute. Il touche terre sans accident, et, quelques jours plus tard, il stupéfie le monde par un exploit encore plus inattendu : il vole la tête en bas, et boucle la boucle.
Du jour au lendemain, l’aviateur conquiert une célébrité mondiale ; de tous les pays du monde on l’appelle ; on l’acclame à Berlin, à Francfort, en Roumanie. L’un après l’autre tous les aviateurs veulent l’imiter, et Pégoud leur prodigue ses conseils.
En bouclant la boucle, il n’a pas seulement fait œuvre de virtuose ; il a montré qu’à un moment où autrefois l’aviateur se croyait perdu, il peut encore se redresser s’il est assez haut et s’il sait manœuvrer.
Pégoud avait fait comme engagé volontaire la campagne du Maroc. A la déclaration de guerre, il est enrôlé dans la phalange des aviateurs, où il se montre de suite un brave parmi les braves. Deux fois cité à l’ordre du jour de l’armée, nommé adjudant, puis sous-lieutenant, il reçoit la médaille militaire, et la remise de cette décoration, sur le front, est l’occasion d’une manifestation chaleureuse de ses camarades. Toujours sur la brèche, Pégoud effectua de nombreux bombardements, et, il y a quelques semaines, il abattait son sixième aviatik. Peut-être cet intrépide avait-il fini par se croire invulnérable. Enfant du paradoxe, de même qu’il songea le premier à voler la tête en bas, il avait imaginé d’attaquer les avions ennemis, non en les survolant, comme il est de règle, mais en évoluant au- dessous d’eux ; cette tactique lui avait toujours réussi.
Notre héros était devenu la terreur des « camarades  » qui naguère l’acclamèrent à Berlin. Ils cherchèrent un moyen de défense et, sans doute, des aviatiks furent armés de façon à pouvoir tirer sous l’angle voulu pour atteindre leur dangereux adversaire. Il y a quelques jours, Pégoud engageait uns nouvelle lutte avec un avion allemand ; une balle ayant traversé son réservoir d’essence, il avait eu grande peine à atterrir dans nos lignes.
Mardi dernier, dans son dernier duel aérien, une balle l’atteignit à la tête.
Les circonstances de cette mort tendraient à indiquer qu’il est peut-être imprudent de maintenir longtemps dans un même secteur tel aviateur d’élite, dont la tactique spéciale et les exploits doivent fatalement provoquer une riposte que ses adversaires habituels ont ainsi tout loisir d’étudier.