Duel mortel
par
Trois jours après, le mardi 31 août, nouvelle alerte et nouveau combat. A 8 heures et demie, un avion allemand est signalé au-dessus de Montreux, venant sur Belfort.
Aussitôt, sans hésiter et sans attendre d’ordre, Pégoud vole au-devant de l’adversaire. C’était -on l’a su depuis - un appareil blindé, monté par deux personnes et armé puissamment.
Pégoud, lui, était seul pour conduire son avion et combattre l’autre. Il le rejoint et épuise aussitôt une bande de mitrailleuse.
Pour recharger, il fait un grand virage, et, l’opération achevée, fonce sur l’Aviatik, sans chercher à éviter par des feintes les projectiles dont on l’accable.
C’est alors que, pris dans le champ de tir, une balle frappe Pégoud au cœur, et, l’aorte traversée, il s’écroule de 2000 mètres, dans toute l’action de la lutte, en pleine activité de son moteur.
C’est fini. Deux ans, presque jour pour jour, se sont écoulés depuis la première expérience.
Ceux qui, assistant à ce duel aérien, ne voulaient pas croire que Pégoud en fût la victime, accourent et trouvent l’héroïque pilote, mutilé et sanglant, gisant à Petit-Croix, sur le territoire de Belfort. Il repose maintenant au cimetière de Brasse, à Belfort, salué par l’émotion publique d’une région qu’il avait si efficacement protégée, et par la reconnaissance amicale de ceux qu’il nommait ses camarades de l’air.
La croix de la Légion d’honneur, qu’on lui avait promise lors de son premier exploit et qui avait été retardée parce qu’un fonctionnaire, soucieux des règles, s’était aperçu que Pégoud était seulement pilote civil et non pas pilote militaire, cette croix si bien gagnée fut déposée sur son cadavre, trois heures plus tard. L’Allemand qui atteignit Pégoud avait, assure-t-on, écouté les explications fournies par le Français, un an auparavant, à Berlin, avec une générosité trop prodigue. N’est-elle pas symbolique cette destinée de Pégoud ? Le Français innove, imagine, crée, fait part aux étrangers de ce qu’il a trouvé ; confiance trop souvent mal placée et dont il devient victime.
Au surplus, l’exemple de Pégoud ne fut pas seulement un cas accompli d’habileté et de vaillance personnelle. Son audace a contribué à fixer la tactique de l’air, et tel procédé qui, de sa part, semblait téméraire, est considéré maintenant comme un excellent moyen de vaincre. Il combattait le plus souvent seul, on l’imite ; les dispositions de ses appareils sont acceptées comme ses méthodes de combat.
Quelqu’un qui fut bien à même d’apprécier le mérite de Pégoud, le général Démange, commandant le Territoire de Belfort, s’exprimait ainsi, en confiant à la terre ce qui restait de l’aviateur massacré : « Les héros que produit, dans les circonstances présentes, notre belle terre de France, sont innombrables ; parmi eux, celui que nous accompagnons aujourd’hui au champ du repos fut le héros des héros, sublime, comme le ciel qui était et demeure son domaine. Lieutenant Pégoud, modèle admirable de vaillance française, au nom de toutes les troupes de la région fortifiée de Belfort, je vous salue ! » Ces paroles d’un chef, parlant pour tous, sont l’hommage le plus digne à la valeur du disparu et le témoignage le plus sûr de ce que la France perdit en le perdant.
18 juillet 1915
Citation à l’ordre de l’Armée en date du 18 juillet 1915 : "Adjudant Pilote à l’escadrille MS 49 ; seul sur son appareil, a engagé un combat avec un Aviatik puissamment armé et monté de deux passagers, l’a abattu à portée de nos lignes après une lutte très vive où il a fait preuve d’une audace et d’une habileté au-dessus de toute éloge."
28 août1915
Légion d’Honneur pour Chevalier pour prendre rang du 28 août 1915 : "Sous-lieutenant de Réserve à l’escadrille MS.49, d’un entrain et d’une bravoure au-dessus de tout éloge, aussi modeste qu’habile pilote, n’a pas cessé, depuis le début de la campagne, de mettre ses merveilleuses aptitudes au service de son pays. Accumulant journellement les traits de courage et d’audace, n’en est plus à compter les combats qu’il a engagés seul à bord contre des avions puissamment armés. Le 28 août, au cours d’un duel aérien, a eu son avion criblé de balles. Obligé d’atterrir, a pris aussitôt toutes les dispositions pour sauver son appareil, malgré un feu intense des batteries allemandes."