Le Roi du Ciel

Une rencontre décisive

C’est au 3e Régiment d’Artillerie Coloniale de Toulon (Var), fin janvier 1910, que Célestin Adolphe Pégoud se lie d’amitié avec l’un de ses supérieurs : le capitaine Louis Victor Carlin. Celui-ci, pris de passion pour l’aviation naissante, souhaite faire partager à son ami les sensations extraordinaires que le vol procure. Mais Pégoud, les pieds bien sur terre, s’y refuse dans un premier temps. Ce n’est qu’en octobre 1911, en suivant Carlin qui est muté au camp d’aviation de Satory près de Versailles, qu’il accepte de faire son baptême de l’air.

C’est une véritable révélation ! Il écrit aussitôt à ses parents : « Vous décrire la sensation ainsi que la joie ressenties pour mon premier voyage en aéroplane est impossible, et je ne saurais le faire. Hier matin, j’ai volé une heure et demie à 2 900 mètres d’altitude. C’est vraiment beau et imposant. Regardez plutôt cet oiseau d’acier dans sa pleine stabilité, bravant le vide et l’espace ».

PEGOUD PILOTE

Son instruction de pilote : Le 22 août 1912, un décret organise l’aéronautique militaire. Quelques semaines plus tard, aux côtés de Carlin, Pégoud participe aux grandes manœuvres aériennes.

Pour poursuivre son instruction, Pégoud doit reprendre un engagement de six mois. Devant l’engouement de son jeune protégé et convaincu de son réel potentiel, Carlin le fait admettre gracieusement en février 1913 à l’école de pilotage de Bron (Rhône-Alpes) dont il vient de prendre la direction. Une semaine suffira ! Son instructeur est le chef-pilote Louis Plantier sur avion Farman. A peine libéré de son engagement militaire, Pégoud se présente aux épreuves du brevet de pilote civil attribué par l’Aéroclub de France. Le 1er mars, la nouvelle tombe : Il est admis sous le numéro 1 243. C’est la joie ! Et le début de nouvelles aventures…

Pégoud à Bron sur avion Farman le 1er mars 1913

A la recherche d’un emploi : Son brevet en poche, il aimerait poursuivre sa carrière militaire dans l’aviation. Mais à cette époque, le pilotage au sein de l’armée française est réservé aux seuls officiers. Il envisage alors de se rendre en Serbie ou en Roumanie, mais il finit par se résoudre à entrer dans l’industrie aéronautique privée fleurissante.

Aussi, Pégoud s’applique à rédiger une lettre de motivation qu’il adresse à plusieurs constructeurs renommés, dont Robert Esnault Peleterie (REP), Louis Blériot, et Gabriel. Ce dernier l’embauche sans grand enthousiasme. Il racontera plus tard à un journaliste (Raymond Saladin) : « Pégoud arrive à mon usine. Je l’engage. Il travaille pour moi sur trois de mes machines. Son allure ne me plaisait pas. Entre lui et moi, il n’y avait pas de fluide. Et puis, il avait de sacrées jambières en cuir jaune qui m’énervaient. Ah ! Ces jambières ! Je finis par me persuader qu’un homme ainsi affublé ne ferait jamais un pilote. Finalement, je le congédiais en lui disant « Si jamais vous devenez aviateur, je veux être pendu par les oreilles ! ».

Employé chez Blériot Finalement, c’est chez Louis Blériot à Buc, qu’il trouvera à s’employer une semaine plus tard. Nous sommes le 8 mars 1913. Pilote débutant, il est d’abord pris en charge par Edmond Perreyon, 31 ans, chef pilote de l’école Blériot qui vient de se distinguer en détrônant Roland Garros du record d’altitude avec pas moins de 6 000 mètres. John Domenjoz, de nationalité suisse, est également instructeur expérimenté à l’école de Buc. Lui aussi apprendra les ficelles du métier à Pégoud à ses débuts.

Pégoud à Buc en compagnie de Domenjoz (à droite) et un élève mexicain (à gauche)

Autre personnage clé de l’Aéroparc : Ferdinand Collin. Fidèle collaborateur de Louis Blériot, il est le directeur de l’école de pilotage. Pégoud, à son arrivée est tellement chien-fou, que Collin doit le restreindre de vol en limitant ses provisions d’essence. Il écrira à son sujet : « Il avait pour le vol ce besoin passionné de l’ivrogne pour son vice ». A cette époque, Hélène de Plagino une jeune aviatrice d’origine roumaine l’avait surnommé « Soif d’Azur ».

L’expérience de Trolley Mi-mai, à Buc, Pégoud expérimente « l’aéroplane à trolley », un dispositif qui devait permettre à un avion de s’arrimer sous un câble tendu le long de la coque d’un navire. Pour l’expérience, ce système que Pégoud appelait « le Perchoir » était constitué d’un câble de 80 m tendu entre plusieurs pylônes à seulement quatre mètres du sol. Il fallait une certaine adresse pour venir se placer sous ce câble, et y clipper l’avion à l’aide d’un guide en V fixé à l’avant de l’appareil et doté d’un galet automatique en bronze. On pouvait bien sûr aussi en repartir avec la même aisance. Début août, Pégoud en fait la démonstration par grand vent, à plusieurs reprises avec succès, devant le Ministre de la Marine, Pierre Baudin, et quelques amiraux. Ce sont les prémisses de l’aviation embarquée, mais ce système n’aura jamais aucune application concrète.

PREMIER SAUT EN PARACHUTE

VOL LA TETE EN BAS

VOL LA TETE EN BAS

Pégoud annonce ses intentions : En remontant vers le village, Pégoud parlant de son avion, s’adresse ainsi aux journalistes : « Je l’ai vu faire, tout seul, le looping the loop. Vous voyez donc bien que c’est possible. Aussi, vais-je le tenter ! ». Le ton est donné ! Maintenant, il doit convaincre son patron Louis Blériot de lui prêter un aéroplane pour réaliser le vol renversé. Il le persuade de la bonne publicité que cela ferait pour sa marque en cas de réussite. Blériot accepte, mais à la condition que l’expérience ait lieu en toute discrétion. Le 27 août, Pégoud fait renverser l’aéroplane sous un hangar à Buc pour s’habituer à la position « Tête en bas ». Il écrit : « Essai de l’acrobe de looping (son avion) à la renverse, la tête en bas, aux points fixes, sur tréteaux. Epatant ! Merveilleux ! La tête en haut cela devenait rasoir. All right ! ».

Le premier vol « Tête en bas » près de Juvisy : Ce 1er septembre sur le terrain de Port-Aviation, à Viry-Chatillon (Essonne), vers huit heures du matin, peu de personnes, quelques intimes, assistent à la manœuvre. Pégoud confie son « crapaud » (porte-monnaie) au mécanicien en disant « tiens mon vieux, prends. Si par hasard, je restais là-haut, le contenu serait pour toi » et l’homme de répondre : « Bah ! je suis sûr de te le rendre tout à l’heure ! ». Un ami journaliste recueille ses dernières impressions avant le départ. Il répond : « Qu’importe si je meurs, ce ne sera qu’un aviateur de moins ; mais si je réussis, combien d’existences précieuses seront conservées à l’aviation ? ». Puis il décolle en s’écriant « A la grâce de Dieu ! » et l’avion s’éloigne…

Il monte à 1000 m. Coupe son moteur. Met son avion en piqué et dépasse la verticale. Il se retrouve ainsi la « tête en bas », les roues en l’air sur 400 m et redresse alors son appareil tranquillement, formant dans le ciel, un immense « S », puis il atterrit en vol plané. A sa descente, Pégoud est imprégné d’essence car celle-ci s’est échappée par la prise d’air du réservoir. Gasté le permanent de l’aérodrome, doit lui prêter une combinaison propre. Tous boivent le champagne pour fêter l’événement.

Pégoud porté en triomphe par un public enthousiaste.

Naissance de l’acrobatie aérienne : Mais ce qu’il a promis, c’est de réaliser le looping-the-loop. Ainsi, le 21 septembre, à Buc, il exécute cette fois toute une série de figures de voltige aérienne inédites en public : Qui mieux que lui peut les décrire ? « J’ai commencé par des glissades sur l’aile gauche et sur l’aile droite ; puis une longue glissade sur la queue avec redressement ; retournement de l’appareil dans le plan de l’axe du fuselage et redressement sur l’aile ; glissade sur la queue, l’appareil étant vertical, moteur arrêté, avec une chute de 200 mètres, vol plané sur le dos avec redressement alternatif sur l’aile droite et sur l’aile gauche ; descente en tire-bouchon, appareil vertical, sur une aile, et pour terminer – hors de mon programme – j’ai bouclé la boucle ! ». Là encore, porté en triomphe il déclare « mes expériences démontrent que la sécurité en aéroplane existe ». Puis, s’adressant aux nombreux pilotes présents il ajoute : « Mes amis, vous m’avez vu voler la tête en bas, vous savez que c’est possible. Par conséquent, si un jour votre appareil se retourne, laissez le faire, posément, tranquillement, prenez votre temps et redressez-le en manoeuvrant les commandes comme pour un vol normal ».

Pégoud à Buc décolle pour le looping

Pyotr Nesterov En réalité, le premier looping de l’histoire n’est pas français. Il a été réalisé par le Russe, Pyotr Nesterov le 9 septembre 1913 à Kiev, soit une douzaine de jours avant Pégoud. En effet, ce jour là, ce jeune Lieutenant de l’armée du Tsar, jaloux des lauriers de Pégoud qui volait déjà « La tête en bas » voulu faire mieux et exécuta devant ses camarades un looping complet sur monoplan Nieuport ordinaire. Cet exploit a été décrit le lendemain dans le journal de Saint-Petersbourg et procès-verbal de cette performance a été signé par tous les militaires présents. Sauf qu’au lieu de décrocher des lauriers de cet exploit… Nesterov qui avait mis en danger sa vie et le matériel de l’armée, écopa de 10 jours de prison !

On peut donc accorder à Pégoud d’être le premier à avoir préparé et maîtrisé le looping. D’ailleurs, sitôt après son exploit du 21 septembre, il fut invité par le Tsar de Russie afin d’effectuer à Moscou une série de démonstrations suivies de formations « d’élèves acrobates ». Pourquoi aller chercher hors de ses frontières un spécialiste que l’on aurait à domicile ? Par ailleurs, quelques temps plus tard, il fut décoré par le roi de Roumanie Carol 1er en tant que « Premier pilote au monde capable de boucler la boucle ! »